Albert
Camus, réflexions sur la peinture : de Picasso à Giotto
Exposition jusqu'au 2 octobre 2009
Centre Albert Camus
Des
propositions picturales d'élèves de 1ère option arts plastiques font
ici écho aux manuscrits, tapuscrits, correspondances, éditions originales.
Par exemple, le travail de Marion pour illustrer des réflexions du jeune
Camus sur la peinture de Giotto : "Volontiers chez ce dernier, les
églises ou les maisons sont plus petites que l'homme. Les personnages
sont figés dans le silence d'une action parfaite. Au deuxième plan,
précédant des paysages encore conventionnels, des églises, des maisons,
semblent un minuscule mobilier de poupée". Autour d'un thème riche
en réflexions et références, le choix subjectif évoque autant les contemporains
de Camus (Masson, Balthus, Picasso) que des peintres du passé (Cézanne,
Piero della Francesca, Giotto...).

Préface
du professeur :
Du texte
à l’image, de l’image aux mots.
À partir d’un corpus de textes réuni par Madame
Mahasela, responsable du centre Albert Camus à la bibliothèque
Méjanes, des lycéens, élèves de Première
ayant choisi l’option Arts Plastiques, étaient invités
à porter leur propre regard sur les réflexions, les observations,
les émotions d’un écrivain sur la question de la
peinture. Un choix de nombreuses citations, extraits de textes, etc.
leur était proposés pour qu’ils puissent en saisir
l’esprit, s’imprégner de la perception « camusienne
».
L’objectif devenait sensible puisqu’il fallait s’approprier
une pensée, intégrer une vision puis lui donner une forme.
Passer du mode propre à la littérature au langage non-linguistique
des Arts Plastiques. Transformer le langage littéraire en langage
plastique, glisser en quelque sorte de l’écrit vers l’image.
À l’issue d’une production artistique, il est souvent
nécessaire d’amener des éclairages, des commentaires,
des explicitations pour cerner la démarche entreprise; c’est
un moment privilégié où le verbe est associé
à un processus où les formes, les couleurs, les matières,
le geste... prennent du sens. Nous avons demandé aux élèves
de s’inscrire dans ce processus.
Après avoir prit contact avec des mots, les avoir transcrit en
images, formes, couleurs, matières, il fut alors question de
revenir aux mots. Chaque production artistique retenue pour l’exposition
est associée à un cartel dans lequel on trouvera, d’une
part, le texte de référence (citation choisie), d’autre
part, un commentaire personnel de l’élève à
travers une notice. Le cycle se referme, où l’on va du
littéraire à l’image, de l’image aux mots.
Robert Maestre
Œuvre
1 :
“...Je Songe à Giotto. Volontiers chez ce dernier,
les églises ou les maisons sont plus petites que l’homme.
Les personnages sont figés dans une action parfaite. ?…?
Giotto voulait restituer à l’homme sa prééminence
spirituelle, qu’il symbolisait dans une disproportion physique.
?…? On peut donc dire que Giotto corrigeait la vie, créait
un monde plus logique où il distribuait à chacun
sa vraie place.” Écrits de jeunesse, p.248
Albert
Camus nous exprime sa vision, en montrant qu’il existe une
rupture d’échelle entre les corps humains et l’architecture
dans les tableaux de Giotto et qu’il accorde plus d’importance
à l’homme. J’ai voulu représenter cette
rupture d’échelle. Ce corps blanc en plâtre
est plus grand que l’église qu’il porte dans
sa main. J’ai cherché le contraste entre les couleurs.
Vous verrez comme Giotto, Albert Camus ...et moi, que l’homme
est plus grand que ce qu’il crée. Marion |
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Œuvre 2 :
“Pour faire une nature morte, il faut que s’affrontent
et se corrigent réciproquement un peintre et une pomme.
(...) Le grand style se trouve ainsi à mi-chemin de l’artiste
et de son objet” Discours de Suède. L’artiste
et son temps, 14 XII 1957
Dans mon tableau, la pomme déchiquetée,
découpée, les pinceaux cassés, la photo-
graphie, les collages, l’écriture et même la
gravure, cet enchevêtrement de techniques sont le résultat
symbolique du combat entre le peintre et son motif. La pomme centrale
montre la réalisation finale, la forme corrigée,
presque parfaite, sans trace de l’affrontement antérieur.
Victoire
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Œuvre
3 :
“La peinture se crée un monde à elle ?…?
elle corrige la vie”. Écrits de jeunesse, p.
248
Giotto
voulait restituer à l’homme sa prééminence
spirituelle, et c’est la raison pour laquelle ma peinture
ne représente rien de concret et est aussi probablement
absurde. Le monde que se crée la peinture dans mon travail
est propre à chacun, chaque personne est libre de l’interpréter
comme il l’entend. C’est aussi une manière
de recréer un monde. J’ai travaillé les contrastes
entre le blanc et le rouge. Selon moi, il se livre là un
combat entre le bien et le mal. Le choix du rouge est, en fait,
toujours selon moi une façon de montrer que si l’un
n’est pas, alors l’autre non plus parce qu’il
n’est point de bien sans mal. Or les deux couleurs sont
ici confondues. Platon à dit: “Il n’y a rien
de bon ni de mauvais sauf ces deux choses: la sagesse qui est
un bien et l’ignorance qui est un mal”. Or on ignore
toujours. Vladimir
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Œuvre
4 :
“Mille projets s'échafaudent, mille entreprises
folles sont lancées, comme un défi à la cruauté
du temps”. Roger Grenier, in Albert Camus soleil et
ombre.
Ce
défi, c’est toute une troupe mémorable qui
l’a relevé. Paris occupé, Pablo Picasso entreprend
d’écrire une pièce de théâtre.
Sartre, Lacan, Simone de Beauvoir, Brassaï, Reverdy, Camus...
Des journaux d’époque, une troupe qui s’avance
et l’espoir qui renaît. Maxence
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Œuvre 5 :
“Pour faire une nature morte, il faut que s’affrontent
et se corrigent réciproquement un peintre et une pomme.
(...) Le grand style se trouve ainsi à mi-chemin de l’artiste
et de son objet” Discours de Suède. L’artiste
et son temps, 14 XII 1957
Le but recherché était de rendre
hommage à Albert Camus. J’ai choisi la citation concernant
la nature morte, la relation conflictuelle entre l’artiste
et son modèle, appelée interdépendance. J’ai
également choisi comme matériau principal la pâte
à modeler durcissante. Ces formes sont celles de deux antagonismes
acharnés, confuses et déchaînées. Lauris.
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Œuvre 6 :
Delacroix: “Ce qu’il y a de plus réel en
moi, ce sont les illusions que je crée avec ma peinture.
Le reste n’est que sable mouvant.” Carnet II
- p. 301
Pour donner l’illusion de “sable
mouvant”, j’ai créé un effet mosaïque
en fragmentant une peinture d’Eugène Delacroix “Jeune
orpheline au cimetière” de 1824. Cette fragmentation
a permis de brouiller l’image pour en donner une lecture
“mouvante” et insaisissable comme peut l’être
la réalité. Camille
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Œuvre
7 :
“Esthétique de la révolte. La peinture
fait un choix. Elle “isole”, ce qui est sa façon
d’unifier. Le Paysage isole dans l’espace ce qui normalement
se perd dans la perspective. La peinture de scènes isole
dans le temps le geste qui normalement se perd dans un autre geste.
Les grands peintres sont ceux qui donnent l’impression que
la fixation vient de se faire (Piero Della Francesca) comme si
l’appareil de projection venait de s’arrêter
net ». Carnets II, p.194
Piero
della Francesca fut l’un des premiers peintres, à
la sortie du Moyen-âge, à intégrer la perspective
dans ses œuvres. Dans l’“Annonciation”,
les jeux de profondeur permettent aux spectateurs d’imaginer
chacun des plans dans un rapport à l’espace-temps.
En regardant uniquement des parcelles de l’oeuvre, on peut
y voir quatre tableaux qui se suffisent à eux-mêmes
et qui montrent ainsi le choix que doit faire l’artiste
dans le domaine du temps et de l’espace. Philippe.
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Œuvre 8 :
“De même, la peinture de sujet isole dans le temps
comme dans l’espace l’action qui, normalement, se
perd dans une autre action. Le peintre procède alors à
une fixation.” L’homme révolté.
J’ai voulu que ma production plastique
jaillisse d’un livre. Montrer la réciprocité
du voyage intellectuel qui se produit entre l’écrit
et le visuel, de la texture aux caractères, des mots à
la couleur. Libérer le cadre, les contours, les idées
et les images et fixer le mouvement. Alexane
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Œuvre
9 :
“Pour faire une nature-morte, il faut que s’affrontent
et se corrigent réciproquement un peintre et une pomme
(...) Le grand style se trouve ainsi à mi-chemin de l’artiste
et de son objet”. Discours de Suède - L’artiste
et son temps.14 XII 1957
J’ai
interprété cette citation en représentant
dans mon travail, six pommes que j’ai dessinées en
utilisant plusieurs techniques (fusain, pastels, huile, acrylique).
Ces représentations expriment le fait que l’artiste
peut interpréter l’image de la pomme qui lui sert
de modèle de façon différente, à sa
manière, en corrigeant certains détails, afin d’obtenir
une œuvre à son goût. J’ai dû moi-même
me corriger et recommencer lorsque je jugeais que le dessin que
j’avais fait n’était pas en accord avec ce
que je recherchais. J’ai donc corrigé ma pomme, mais
elle m’a également corrigée lorsque parfois
je me suis aperçue que le dessin en était imparfait
et qu’il fallait recommencer. Pauline.
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Œuvre 10 :
“L’art du portrait byzantin: donner de l’importance
aux yeux, les agrandir démesurément... afin de rappeler
constamment l’au-delà et l’élan religieux.
Intéressant comme correspondance. Pourquoi les yeux? Ai
peur du cliché” Écrits de jeunesse, p.
202 - Notes de lectures, 1933
Je me suis surtout concentré sur “donner
de l’importance aux yeux, les agrandir démesurément”.
J’ai travaillé sur la représentation démesurée
d’un œil en jouant sur la relation existant entre les
tesselles de la mosaïque byzantine et les pixels de l’image
numérique. En coloriant de noir l’espace existant
entre les pixels, j’obtiens un effet visuel qui nous rappelle
celui de la mosaïque. Clémence
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