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Rés. O. 35

Galilée
Nov-antiqua sanctissimorum Patrum, & probatorum theologorum doctrina, de sacræ Scripturæ testimoniis, in conclusionibus mere naturalibus, quæ sensata experientia, & necessariis demons trationibus evinci possunt, temere non usurpandis : in gratiam Serenissimæ Christinæ Lotharingæ, Magna Ducis Etruriæ, privatim ante complures annos, italico idiomate conscripta…
Strasbourg, David Hautt pour Bonaventure et Abraham Elzevier, 1636.
Reliure du XVIIIe siècle en veau blond glacé, trois filets d’encadrement, dentelle intérieure, tranches dorées.
Prov. : acquis par le marquis de Méjanes auprès du libraire Molini, à Paris, le 17 octobre 1784.

Les thèses de Copernic ont très rapidement déclenché la suspicion de l’Église et l’hostilité de nombreux théologiens, qui voyaient dans l’héliocentrisme et l’hypothèse du mouvement de la terre une théorie en contradiction avec l’Écriture sainte, en particulier avec quelques versets du neuvième chapitre du livre de Job, qu’une tradition qui remontait au XIIIe siècle interprétait comme un texte recelant un sens cosmologique et donnant à l’ancienne doctrine géocentrique de Ptolémée la caution de Dieu en personne. Le débat provoqué par la parution du traité « des révolutions orbes célestes » de Copernic en 1543 rebondit un peu plus tard, quand un théologien de Salamanque, du nom de Diego de Zúñiga, publia en 1584 un commentaire du livre de Job dans lequel il affirmait que le texte de l’Écriture prouvait au contraire la vérité de l’héliocentrisme. C’est dans ce contexte – et peu avant que l’ouvrage de Zúñiga ne fût mis à l’Index, en 1616 – que Galilée, alors investi du titre de Premier Mathématicien et Philosophe du Grand Duc de Toscane, fit paraître, en décembre 1613, son traité sur les tâches du soleil (Istoria e dimostrazioni interno alle macchie solari), où il se prononçait très clairement en faveur de Copernic. Troublée, la mère du Grand Duc, Christine de Lorraine, s’enquit de la compatibilité de l’Écriture et de l’hypothèse du mouvement de la terre auprès d’un savant prêtre de son entourage, le P. Castelli. Celui-ci en fit part à Galilée qui lui répondit par une lettre du 21 décembre 1613. Puis il reprit au début de l’année 1615 cette lettre célèbre et la développa considérablement pour la transformer en un écrit adressé cette fois-ci à Christine de Lorraine : adresse toute littéraire, qui désigne un dédicataire plutôt qu’un destinataire, car il est fort peu probable que la lettre de 1615 ait jamais été envoyée. Aussi ne s’agit-il pas d’un élément détaché d’une véritable correspondance, mais d’un petit essai autonome, où Galilée se démarque tant des commentaires bibliques traditionnels que de la position de Zúñiga, qui cherchait à prouver un objet vrai par une méthode fausse et ruineuse : dans une position beaucoup plus moderne mais en s’appuyant sur l’autorité des Pères de l’Église, Galilée appelle à ne pas faire dire à l’Ecriture ce qu’elle ne dit pas et milite en faveur d’une séparation entre les tâches de la science et le mystère de la révélation, entre l’ordre naturel des faits et l’ordre surnaturel de la foi, non pas pour renier le second mais au contraire pour ne pas le compromettre en niant l’évidence sensible (le senso manifesto) du premier.
Cette contribution de premier ordre à l’avènement d’une conscience moderne du monde et de Dieu ne circula d’abord que sous forme de copies manuscrites. Sa publication imprimée n’intervint qu’au moment où Galilée venait d’être condamné par le Saint-Office, en 1633 : peu après, une copie de la lettre à Christine de Lorraine fut transmise par le Parisien Élie Diodati (1576-1661), l’un des principaux promoteurs de la pensée galiléenne dans l’Europe de son temps, à l’historien et mathématicien Matthias Bernegger (1582-1640), recteur de l’Université de Strasbourg, qui souhaitait traduire le texte en latin afin de le faire connaître aux lettrés qui n’avaient pas accès à l’italien. Son intention était de le joindre à sa traduction latine du Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo tolemaico, e copernicano du même Galilée, qu’il fit paraître sous le titre de Systema cosmicum en 1635, sur la pressante sollicitation des grands éditeurs de Leyde Bonaventure et Abraham Elzevier. Un retard obligea finalement à surseoir et la lettre fut publiée à part en 1636, dans une version bilingue où l’original italien et la traduction latine étaient disposés face à face, sur deux colonnes, complétés à la fin d’un extrait du commentaire de Zúñiga. Le livre n’atteint toutefois pas l’objectif que Bernegger lui avait assigné : mal diffusé, il devint très vite un livre rare, auquel très peu de lecteurs eurent accès.

• Dino Cinti, Bibliotheca Galileiana raccolta dal Principe Giampaolo Rocco di Torrepadula, Florence, 1957, n° 98, p. 200-201 ; Alphonse Willems, Les Elzevier : histoire et annales typographiques, Bruxelles, 1880, p. 105, n° 426 (Systema cosmicum) et p. 109-110, n° 441 (Nov-Antiqua doctrina) ; Pierre-Noël Mayaud, “Deux textes au cœur du conflit entre l’Astronomie nouvelle et l’Écriture sainte : la lettre de Bellarmin à Foscarini et la lettre de Galilée à Christine de Lorraine”, dans Après Galilée. Science et foi : un nouveau dialogue, sous la dir. du cardinal Paul Poupard, Paris, 1994, p. 19-91 ; Id., Le Conflit entre l’Astronomie nouvelle et l’Écriture sainte aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, 2005.