Ci dessus :

À gauche : Camus à Oran en 1941.

En haut à droite : L’Étranger, première page, dactylographie avec corrections manuscrites autographes, copie.

En bas à droite : Le Mythe de Sisyphe, préface à l'édition américaine, manuscrit autographe.

Ci-dessus :
Albert Camus, Retour à Tipasa, épreuves d’impression de Terrasses, avec corrections manuscrites autographes. Texte publié pour la première fois en 1953 dans la revue Terrasses dirigée par Jean Sénac.

Ci dessus :

À droite : Albert Camus avec René Char à l’Isle sur la Sorgue en 1949.

En haut à droite : Albert Camus A René Char, 19 décembre 1959, manuscrit autographe, copie.

En bas à droite : Albert Camus, La Chute, Gallimard, 1958. Première édition en 1956.

 

La reliure en hommage à Albert Camus
par Marie Garrigue

Dans l’introduction au catalogue L’oeuvre d’Albert Camus en 100 reliures de création, Florent Rousseau, président de l’Association Pour la Promotion de l’Art de la Reliure cite Albert Camus qui disait : « La première chose à apprendre pour un écrivain c’est l’art de transposer ce qu’il sent dans ce qu’il veut faire sentir. Les premières fois c’est par hasard qu’il réussit. Mais ensuite, il faut que le talent vienne remplacer le hasard. Il y a ainsi une part de chance à la racine du génie. » Florent Rousseau ajoute : « J’espère qu’aujourd’hui, à travers notre métier de relieur, nous avons réussi ce même challenge. »

Imaginer Albert Camus dans l’atelier d’un relieur

Servir au mieux l’oeuvre de Camus, c’est se l’approprier, entrer dans son univers, rester humble devant tant de mots si justement choisis, ouvrir son coeur et son esprit pour laisser chacun d’entre eux nous atteindre. C’est aussi rire avec lui, se révolter autant qu’il a pu et su le faire et rêver d’être son ami.
Quels sentiments ont traversé l’esprit de tous ces relieurs qui ont relié des textes de bien d’autres auteurs auparavant ? Ont-ils senti planer autour d’eux l’ombre et l’âme de Camus, lui ont-ils parlé dans l’intimité de leur atelier ?
C’est une étrange sensation que d’imaginer le relieur dialoguant avec lui, cela semble si réel, si inévitable ! Lui, l’homme tellement modeste, simple, qu’aurait-il dit de toutes ces reliures réalisées sur ses ouvrages ? Il aurait probablement eu la même réaction que lorsqu’il a reçu le prix Nobel de littérature : « On vient de me faire un bien trop grand honneur… » (même si l’évènement n’a pas de commune mesure) et aurait sûrement été très ému que tant de femmes et d’hommes aient consacré autant d’heures de recherches et de travail, pour magnifier son oeuvre : Albert Camus aurait salué l’oeuvre du relieur. Tout comme sa fille Catherine Camus l’a fait rédigeant une très belle préface dans le catalogue de l’exposition : « Et dans ce monde de villes, où l’homme a perdu tant de repères et tant d’humanité, flotte le rêve, orphelin et tenace. Il cherche un abri. Il peut alors entrer chez le relieur, qui dans le silence de son atelier va d’un livre à l’autre, cherchant une oeuvre qui va lui parler, accompagner la solitude que chacun d’entre nous porte en soi. De cette rencontre entre le rêve, une oeuvre et l’artisan, va naître une pièce unique, originale, confectionnée durant des heures et des jours. Car il faut lire et relire pour relier. Ce catalogue vous invite à découvrir et à partager cette pacifique alchimie. »

La reliure en écho aux oeuvres de Camus

Ce mot « alchimie » est juste : chaque oeuvre de Camus a parlé, le relieur l’a entendue et lui a répondu. Noces, recueil de 4 textes (Noces à Tipasa ; Le Vent à Djémila ; L’Été à Alger ; Le Désert) dont la première édition paraît en 1939 à Alger, a trouvé un écho auprès de 8 relieurs, qui l’ont habillé d’oasis bleu glacier, de buffle Oregon, de lézard, de box teinté, d’un plein maroquin, de veau lisse orange… L’Étranger, « véritable mythe moderne de l’absurde, ce texte qui garde une part de mystère est une des oeuvres phares du XXe siècle. », ainsi le décrit Marcelle Mahasela, conservateur du fonds Camus, dans la notice mise en exergue en ouverture de la série de reliures réalisée sur ce titre par 8 relieurs, arbore ses habits de plein parchemin, de peaux d’animaux australiens (sur une version en langue anglaise : The Stranger, publiée à New York en 1971), de plein buffle couleur citron, ou, encore, des plats en polystyrène peints à la main et vernis…
Vient ensuite le Mythe de Sisyphe qui est un « essai publié en 1942. Il est un des volets du triptyque de l’absurde. Les épreuves corrigées pour l’édition de 1945 présentent en appendice l’étude : L’espoir et l’absurde dans l’oeuvre de Franz Kafka, supprimée dans l’édition originale car Kafka était juif. En mars 1955, Camus ajoute une préface à son texte pour l’édition américaine. » Sur ce titre, 7 relieurs ont arrêté leur choix. Se trouve parmi les ouvrages, une édition en version espagnole publiée en 1953 à Buenos Aires : El mito de Sisifo accompagné de El Hombre rebelde (L’Homme révolté). Là, de nouveau, des décors très différents, avec une prédominance des tons brun, ocre et beige.
8 relieurs ont opté pour Lettres à un ami allemand, ouvrage composé de « quatre lettres dont trois ont été publiées dans la presse clandestine sous l’Occupation. Elle marque l’engagement dans la Résistance comme lutte contre la violence. Combat était un journal clandestin créé en 1941 par le mouvement de Résistance du même nom. Camus y serait entré dès 1942. Tous les articles étant anonymes ou signés d’un pseudonyme, on ne lui en attribue avec certitude que deux, dont celui intitulé Ils ont fusillé des français, paru en mai 1944. Combat paraît officiellement en août 1944, son rédacteur en chef est Albert Camus. Réunies, ses quatre lettres paraissent en 1945 ». Signalons ici la reliure souple en papier aquarelle, à dos ouvert et empreintes à sec de Junko Morimoto qui a obtenu le Prix APPAR 2008. Ce n’est pas la première fois que cette excellente artiste se fait remarquer par son travail tout en finesse et élégance. La majorité des reliures sur ce titre sont, là aussi, de couleur plutôt sombre, à l’égal de cette triste période. Voici L’Été, « recueil publié en 1954. Il regroupe 8 textes écrits par Camus entre 1939 et 1953 : Le Minotaure ou La Halte d’Oran ; Les Amandiers ; Prométhée aux Enfers ; Petit guide des villes sans passé ; L’Exil d’Hélène ; L’Énigme ; Retour à Tipasa ; La Mer au plus près. Ces textes ont bien souvent fait l’objet d’une première publication avant d’être rassemblés. » Parmi tous ces textes formant ce recueil, Le Minotaure ou la Halte d’Oran a été relié par 8 relieurs, par 2 pour le recueil complet et enfin, par Antonio Perez-Noriega pour Prométhée aux enfers avec une reliure à l’orientale.
La Peste est un « récit métaphorique sur les différentes formes de l’oppression politique qui connut un vif succès dès sa parution. Les Archives de La peste, textes publiés dans les Cahiers de la Pléiade en constituent l’annonce. » 10 relieurs ont été captivés par cet ouvrage publié pour la première fois en 1947 qui lui vaudra son premier grand succès de librairie.
Viennent ensuite, l’État de siège, Les Justes, L’Exil et le royaume, La Chute, L’Envers et l’endroit, premier roman d’Albert Camus publié à Alger en 1937 (l’édition présentée ici et reliée par Nejma Haji, date de 1958), son Appel d’Alger, ses Chroniques, Carnets, Discours de Suède, des pièces de théâtre adaptées par Albert Camus, des ouvrages d’autres auteurs en son hommage…

La reliure plus présente encore

La liste est bien longue encore. 82 relieurs professionnels et amateurs ont relié pour certains plusieurs ouvrages de Camus. Dans le catalogue de l’exposition, les reliures sont présentées par ordre chronologique de publication des livres qu’ellent recouvrent et par titre. C’est une excellente manière d’appréhender les différentes sensibilités des relieurs qui participent à cet événement. Lors d’une exposition de reliures, rarement l’oeuvre de l’auteur a été ainsi mise à l’honneur. Nous avons plutôt l’habitude de nous concentrer sur l’habit qui la recouvre, les matériaux utilisés, la composition des décors, et c’est encore, bien heureusement, le cas pour cette manifestation. Mais pour une fois, découvrir ou redécouvrir, en même temps, Albert Camus au travers de tous ces ouvrages et documents exposés aux côtés de toutes ces reliures de création c’est aussi rendre un bel hommage à tous les relieurs qui ont répondu si largement à cette invitation lancée par l’APPAR. La reliure en est encore plus présente, encore plus vivante.

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©Fonds Albert Camus, Cité du Livre, Aix-en-Provence